Lettre de David Venegas 15 août 2007
L'abstention et l'espérance
L'espérance, nous savons tous qu'elle ne meurt qu'au dernier instant ; et pourtant, il y en a qui voulaient l'enterrer dans une boîte en carton. D'un côté, le PRI et Ulises Ruiz fêtent, contre
toute raison, leur victoire électorale du 5 août, faisant l'impasse sur son illégitimité du fait du niveau historique d'abstention, de plus de 70 %. En même temps, les partis de la soi-disant
gauche, le PRD, le PT et Convergencia, lancent par la bouche de leurs représentants des messages furibonds de récriminations et de chantage, aussi bien contre un peuple abstrait que contre
l'APPO, coupables directs selon eux de l'échec électoral de leurs candidates et candidats. Magnanimes, cependant, ils tendent la main au peuple en lui offrant une chance de rédemption lors des
prochaines élections, les municipales d'octobre 2007.
Il a été particulièrement révélateur d'entendre dans les médias l'invitation au peuple d'Oaxaca à laisser de côté - disaient-ils – "la haine, la peur et le désespoir et [à] aller voter en
octobre". Le message est évident, les centaines de milliers d'hommes et de femmes qui ne sont pas allés voter le 5 août sont peureux, colériques et désespérés. Des épithètes de ce genre ont été
assénées aux centaines de milliers d'abstentionnistes par certains représentants des partis politiques de la soi-disant gauche. Pour rester dans le ton, à l'intérieur du Conseil de l'APPO,
illusoire direction du mouvement social, Florentino López Martínez, indéboulonnable porte-parole de l'APPO, attribue également à la peur des Oaxaquègnes l'échec électoral du PRD, du PT, de
Convergencia et de sa propre organisation, le Front populaire révolutionnaire (FPR), embarquée elle aussi dans ce cirque électoral largement désavoué par le mouvement des peuples d'Oaxaca.
De sorte qu'après la stupeur des premiers jours, provoquée par l'énorme et historique abstention du 5 août dans la classe politique de la soi-disant gauche, ses différents partis et organisations
commencent à élaborer une explication consensuelle conforme à leur intérêt. Ça a été la peur et le désespoir.
C'est comme ça. Les mêmes hommes et femmes participant au mouvement social qui ont défendu, même au prix de leur propre vie, leur territoire et leurs idées, sont à présent terrorisés par on ne
sait quel moyen - ceux qui expliquent ainsi leur échec électoral ne le disent pas - au point de ne pas avoir le courage de déposer un bout de papier dans une boîte en carton. De sorte que de ces
êtres humains vaillants, dignes, pleins d'espoir qui remplissent les rues d'Oaxaca, avec leurs manifs, et aussi les prisons d'Oaxaca et du pays, de leur dignité récalcitrante, et qui ont même
rempli l'année dernière les urnes de leurs votes, il ne resterait rien, si ce n'est des êtres timorés, pleins de haine, et dépourvus de toute espérance.
Il semble bien que la cour maladive que faisaient les partis de la soi-disant gauche au mouvement des peuples d'Oaxaca touche à son terme. Il est loin, le temps des douces déclarations de soutien
- sans jamais de passage à l'acte - de ces partis envers le mouvement, quand celui-ci, dans son élan irrésistible, lui concédait neuf sièges de députés fédéraux et deux de sénateurs en juillet de
l'année dernière.
Ces déclarations des partis politiques de la soi-disant gauche et de leurs alliés à l'intérieur du Conseil de l'APPO indiquent clairement comme ils sont loin du chemin et de la recherche que les
peuples d'Oaxaca, depuis plus d'un an, ont commencé à parcourir. Ils ont du même coup rendu plus claire leur position, laquelle est évidemment plus proche du parti au pouvoir et de la classe
qu'il représente que des gens simples et honnêtes qui participent au mouvement de l'APPO. Le démontre le manque total de pudeur et de vergogne avec lequel aujourd'hui, là-haut, à la table des
puissants, ils négocient d'échanger l'impunité contre des sièges : ils sont prêts à protéger Jorge Franco Vargas et Lizbeth Caña Cadeza, génocidaires du peuple d'Oaxaca, en échange de la
concession par le PRI à la coalition "Pour le bien de tous" (PRD, PT et Convergencia) de quelques députés uninominaux*. Si cela se vérifiait, cela mettrait en évidence la position unitaire de
toute la classe politique contre un peuple qui recherche la justice et la liberté véritables.
Sans nier la possibilité que quelques-un-e-s des Oaxaquègnes qui sont abstenus aient pu souffrir de ces sentiments de colère, de peur et de désespoir, il n'en est pas moins probable que le motif
de l'abstention soit le mépris et le rejet envers toute la classe politique. Et cette probabilité se transforme en puissante certitude pour la grande majorité des femmes et des hommes participant
au mouvement : ceux-ci, bien qu'ils luttent depuis plus d'un an, et que beaucoup d'entre eux aient subi la violence, les viols, la torture, la persécution et la mort, n'ont pas pour autant perdu
l'espoir de réussir un changement profond pour Oaxaca et de virer Ulises Ruiz.
La classe politique de tous les partis, avec ces déclarations, prétend au monopole du commerce de l'espérance. Elle oublie que ce sont eux, précisément, avec leurs promesses vaines et non tenues
de justice, de changement, de bien-être, et leur franche trahison de ceux qui leur font confiance en se mettant au service des intérêts des puissants, les vrais assassins de l'espérance.
L'espoir des gens simples et honnêtes d'Oaxaca n'est pas mort ; simplement, de manière sage, il a été préservé des trahisons et des frustrations par la non-participation au processus électoral.
Bien au contraire, le mouvement des peuples d'Oaxaca, dans sa quête infatigable de justice et de liberté, cherche et trouve des chemins inédits, pacifiques et convaincants, pour parvenir à une
authentique libération. La lutte des peuples d'Oaxaca continue et, le 5 août, elle s'est manifestée dans toute sa vitalité. Non ! L'espérance n'a pas été enterrée dans une boîte en carton.
David Venegas Reyes "Alebrije"
Centre pénitentiaire de Santa María Ixcotel, Oaxaca,
le 15 août 2007.
* Le système électoral mexicain prévoit de tempérer l'effet du vote majoritaire par une part de proportionnelle. Par exemple, dans l'Etat d'Oaxaca, sur les 42 députés locaux, 25 sont élus par le
système majoritaire (députés "uninominaux") et 17 sont pris sur les listes fournies par les partis, en fonction des résultats globaux (députés "plurinominaux"). Lors des élections du 5 août 2007,
le PRI l'ayant emporté dans toutes les 25 circonscriptions, il n'a droit à aucun député "plurinominal". Or, pour garantir l'impunité aux deux sinistres suscités, respectivement responsables de la
police et de la justice en 2006, il avait prévu d'en faire des députés "plurinominaux". La manoeuvre que dénonce David consisterait pour le PRI à admettre qu'il y a eu fraude dans deux
circonscriptions, et donc à refiler deux sièges "uninominaux" à la
"gauche", pour pouvoir caser ses deux assassins et leur donner ainsi l'immunité parlementaire. [Note du traducteur.]
Traduit par el Viejo.